Patrick de Wilde: Au cœur du monde
Le dessin chevillé au corps, Patrick de Wilde entre à l’École Supérieure d’Art Graphique de Paris où il découvre la photographie. Il devient directeur artistique, chef de studio puis rédacteur en chef avant de s’en aller sillonner le monde. Auteur d’une trentaine de livres, il s’est passionné tour à tour pour les religions de l’Asie, l’animalier et les grands espaces tout en accumulant, en marge de ses reportages, d’étonnants portraits qui ont fait l’objet de plusieurs ouvrages et d’une bonne quinzaine d’expositions en France et à l’étranger. Une rencontre, conduite par Jean-Jacques Cagnart*, avec un photographe qui refuse résolument de se spécialiser et qui aime se balader en photographiant à l’économie.
Chasseur d’Images: Quelle filière avez-vous suivi pour devenir photographe ?
PdeW: Après avoir passé le BAC à Lille, j’ai suivi les cours de l’école Penninghen, l’ex-académie Julian qui était, depuis peu, devenue l’École Supérieure d’Arts Graphiques. C’était au début des années soixante-dix. À l’issue de mon année préparatoire, ayant réussi les différents concours, je pouvais entrer où je voulais: Arts Déco, Métiers d’Art, Beaux-Arts…. Mais je n’avais pas les moyens de m’offrir l’ESAG. Aussi Met de Penninghen me proposa de me garder gratuitement. Difficile de refuser, d’autant que nous étions dans le quartier de Saint-Germain des Prés à Paris [qui était à l’époque plus aimable et bon enfant qu’aujourd’hui] où j’avais tous mes copains et copines. Ce fut une époque exigeante et magnifique. J’habitais dans une chambrette, sous les toits du côté de la Roquette, et il n’était pas rare que, faute de moyens, je doive revenir à pied depuis l’école, mon carton à dessin sous le bras. C’était vraiment la bohème!
Combien de temps êtes-vous resté à l’ESAG ?
— J’y ai passé quatre années pendant lesquelles j’ai reçu un enseignement artistique très académique. Nous faisions encore, à l’époque, beaucoup de dessin: croquis de nus, études documentaires, etc. Cela me passionnait totalement. Je pense que je dessinais plus de douze heures par jour. J’ai, dans le cadre de cette école, aussi bénéficié de cours de photographie donnés d’abord par Jean-Pierre Sudre. C’était un Maître! Son enseignement fut pour moi un véritable activateur poétique. Nous faisions beaucoup de natures mortes, aussi des portraits et des prises de vue en extérieur notamment à la chambre. Il nous apprit aussi le travail de labo, depuis le développement jusqu’aux virages, solarisations, grignotages. Ensuite j’ai eu Bernard Perrine et Françoise Nicol avec lesquels je suis toujours en contact. Avant l’arrivée des compacts, apprendre la photo c’était maîtriser une technique mais sans jamais perdre de vue la dimension esthétique.
Faisiez-vous déjà quelques photos personnelles ?
— En prépa, j’étais obligé de bosser pour financer mes études, j’allais à l’époque aux Halles pour décharger les cageots et je travaillais comme nègre pour un architecte d’intérieur. Pour pratiquer la photographie, il fallait un appareil, des produits, du papier et je n’avais pas trop les moyens. J’ai donc préféré, pour cette raison et quelques autres, suivre la filière arts graphiques.
À la fin de vos études, vers quel métier vous êtes-vous orienté ?
— Au milieu des années soixante-dix, j’ai obtenu un beau diplôme signé, entre autres, par Jean-Loup Sieff. Je me suis alors posé la question de savoir si j’allais continuer la peinture et le dessin au risque de crever la dalle pendant un temps imprévisible ou si je devais m’orienter vers une profession plus immédiatement confortable. Les propositions d’embauche ne manquaient pas à l’époque et j’en avais marre d’être pauvre. J’ai en définitive choisi de rentrer comme directeur artistique au groupe Marie Claire. J’y suis resté un moment, mais au bout de trois ans, j’en avais fait le tour. Avec Sophie, ma femme qui elle aussi était issue de l’ESAG, nous avons créé un studio d’arts graphiques. Cela fonctionnait bien mais, au bout de quatre ans, nous avons saturé. Nous menions une vie abrutissante sans vacances ni week-ends avec journées de travail dépassant les dix heures, sans compter les dîners avec les clients. Sous l’impulsion de Sophie, nous avons donc arrêté cette machine infernale, qui certes nous rapportait de l’argent mais ne nous permettait pas de vivre comme nous l’aurions aimé. Le rêve de Sophie était de s’adonner à la plongée sous-marine, activité qu’elle pratiquait depuis son plus jeune âge. Elle est donc devenue la première femme photographe sous-marin professionnelle. J’avais pour ma part gardé quelques clients dans le domaine du voyage et j’en suis venu tout naturellement à reprendre un appareil photo pour partir à la découverte du monde. Nous avons fait beaucoup de livres ensemble et aussi séparément. Nous nous produisions régulièrement à la radio et à la télévision. Sophie était devenue une célébrité en son domaine. Mais elle se noya à Marseille en 1999.
Cette tragédie a dû bouleverser votre vie ?
— Cela brisa net mon enthousiasme pour ne pas dire mon existence. En tout cas mon activité. J’ai alors laissé tomber toutes les collaborations que j’avais avec les magazines. Et il me fallut plusieurs années avant de reprendre mon appareil photo. Je le refis poussé par la cinéaste Fabienne Bernard pour un travail sur le chamanisme.
Revenons à vos débuts de photographe, quelles étaient vos destinations préférées ?
— Principalement l’Asie: la Birmanie, la Thaïlande, l’Inde. Les religions asiatiques me fascinaient. Ensuite j’ai étendu mes centres d’intérêt aux grands espaces et à l’animalier. Les agences n’ont pas compris ce virage car j’avais une gentille réputation comme spécialiste de l’Asie et des religions. J’étais catalogué! Et c’est peut-être ça qui me déplut. Pendant dix ans j’ai ensuite fait de l’animalier surtout en Afrique australe et de l’Est dont j’ai tiré pas mal de livres: Namibie, Botswana, Afrique du Sud, Tanzanie, Kenya, etc. Entre-temps je passais cinq étés austraux en Antarctique et îles subantarctiques. Après, j’ai décidé d’aller voir du côté des étendues sauvages de l’Amérique latine. J’en ai parcouru chaque région, du Mexique à la Terre de feu. Et les thématiques se sont superposées et mêlées. Mais dès mes premiers voyages en Thaïlande j’ai fait des portraits sur fond coloré uni puis rapidement sur fond noir.
Justement, parlez-nous de ces premiers portraits.
— Cela remonte à une trentaine d’années ou un peu plus. Je les faisais pour moi, pour rencontrer des gens, pour le plaisir. Comme prétexte. La photo offre la possibilité miraculeuse d’aller vers l’autre avec facilité. Je profitais la plupart du temps des demandes d’éditeurs ou de magazines pour faire ces portraits parallèlement à mon travail de commande. Pendant toutes ces années j’ai accumulé des visages du monde entier sans que l’idée d’en faire un livre ne m’effleure particulièrement.
Vos portraits ont une touche particulière. D’un point de vue technique, comment procédez-vous ?
— J’emporte toujours une sorte de mini studio: un fond de velours noir, des réflecteurs et un pied très stable. Comme ce n’est pas trop lourd [quoique!], je peux le transporter partout, dans les déserts, dans les forêts, sur les places de marché… Mais toujours à l’ombre car je déteste la lumière directe qui coupe les formes et tranche les caractères. Je joue alors avec le soleil afin de modeler les parties du visage que je veux mettre en valeur. Je travaille avec une profondeur de champ extrêmement réduite, à la limite du possible, la mise au point sur les yeux ou un seul œil. J’obtiens ainsi un volume avec des formes qui se perdent dans le noir. L’essentiel est que les visages aient l’air de sortir de l’obscurité.
Comment gérez-vous la relation avec votre modèle ?
— Ce qui compte est de rester respectueux avec le modèle. De tenir compte de lui. De le sentir vibrer en soi. C’est certainement ce que Nadar nommait le tact. Le plus intéressant est ce qui se passe avec la personne qui se tiens face à vous: l’échange, le partage. Dans cette situation où je suis en intelligence morale avec le sujet j’oublie tout ce qui l’entoure comme je tente de lui faire oublier l’appareil photo. Je me souviens d’une séance en Éthiopie, dans un village où j’étais entouré par une bonne centaine de curieux. Je ne voyais que la jeune fille photographiée, personne d’autre, pas même le sorcier qui me menaça de sa kalachnikov parce qu’il croyait que je cherchais à voler l’âme de l’enfant que je prenais en photo. Heureusement mon guide put l’assagir avant même que je note sa présence.
Combien de temps partez-vous en moyenne ?
— Entre trois semaines et trois mois. En Antarctique par exemple, un des périples a duré toute une saison. À un moment, je voyageais huit à neuf mois par an. Après avoir assumé la direction artistique du magazine de voyages de l’Expansion durant presque dix ans, j’en suis devenu le rédacteur en chef. C’était un trimestriel et même si j’en rédigeais aussi quelques textes, je bouclais un numéro en trois semaines, le gros du travail pouvant être fait lors de mes déplacements qui occupaient le reste de mon temps. Par la suite, j’ai continué à travailler comme photographe indépendant pour différents supports comme BBC Wildlife, Airone, Animan, Géo, Terre Sauvage, Grands Reportages, Ushuaïa, Images doc, etc.
Vous avez aussi été à l’agence Hoa-Qui ?
— Oui, j’en ai été l’un des membres fondateurs avec Michel Renaudeau, Xavier Richer, Emmanuel Valentin… À l’époque nous nous considérions plutôt comme des artisans. L’argent, la rentabilité, c’était secondaire. À partir du moment où les jeunes femmes qui faisaient tourner l’agence étaient correctement payées et que nous touchions de quoi voyager, on était contents. Très souvent nous déjeunions tous ensemble à l’agence. Pouvoir vivre de ses balades en faisant des photos, je trouvais ça miraculeux! Derrière, les filles de l’agence s’occupaient de l’éditing, du classement, de la vente… Maintenant le photographe doit tout faire jusqu’à mettre lui-même ses photos dans les tuyaux informatiques. Il est tout seul face à l’ordinateur! L’agence Hoa-Qui est ensuite passée dans les mains d’un groupe de presse qui a mis à sa tête un polytechnicien qui eut vite fait de ruiner l’affaire. Je travaille maintenant pour Gamma. Mais l’avenir indépendant de l’agence est des plus incertains. Toutes les autres agences pour lesquelles je travaillais ont été absorbées par des multinationales qui ont cassé le marché.
Quand vous partez, avez-vous déjà des idées de reportages en tête ou tout se décide-t-il une fois sur place ?
— J’aime me balader les yeux ouverts, curieux et attentif. Je ne me borne pas à aller ici où là pour faire tel ou tel reportage. Si j’ai mon idée, elle n’est pas figée. Par exemple, lorsque je me suis rendu au Japon, attiré par l’art architectural, j’ai découvert à côté de cela des temples shintoïstes insoupçonnés. J’ai des sujets en tête, mais dans ce cadre, je fais en sorte de me ménager beaucoup d’ouvertures C’est cela qui m’a poussé vers la photographie: la liberté. Et je suis conscient d’avoir été en cela favorisé. Ce que j’ai vécu ne peut plus être vécu dans cet esprit de disponibilité et d’autonomie. Tout est devenu plus compliqué, plus cher, plus restreint, plus étriqué.
En trente ans de voyages, vous avez publié une trentaine de livres. Quelle place accordez-vous à cette partie de votre activité ?
— Mes premiers ouvrages furent des travaux de commande. Il y eut d’abord “Les arcanes de Shwedagon“ sur un texte de Dominique Lapierre commandé par les Éditions Robert Laffont sous la responsabilité de Pierre-Marie Amat. Puis il y eut “La Thaïlande des Bonzes “, “L’Inde des Jains“ et toute la série des albums “Majestueux“ [Indonésie, Thaïlande, Afrique du sud, Îles Grecques, Brésil, Floride, Caraïbes, Mexique, etc.] commandés par les Éditions Atlas avec alors, à leur tête, Bernard Canetti. J’ai ensuite travaillé pour les Éditions Hachette, Flammarion, Arthaud, Le Chêne, Bayard… et, pour finir, de La Martinière avec Nathalie Bec. La plupart de mes livres ont été traduits en anglais, italien, allemand, espagnol, japonais, etc. et beaucoup ont connu, et de loin, plus de réussite à l’étranger qu’en France comme le “Safaris“ [édt. Flammarion] aux États-Unis. Le petit livre “A hauteur d’homme“, sorti en 2006, a eu un joli succès en France et à l’étranger. Il s’en est suivi plusieurs expositions parisiennes dont la première Place du Louvre, puis à l’UNESCO, au Réfectoire des Cordelier et tout dernièrement à la Grande Galerie Descartes et au merveilleux Musée de la Médecine. J’ai aussi exposé en province [Le Mans, Blois, Massy, Avignon, Saint Valéry, etc.] et, sous la direction artistique de Frédéric Coudreau, représenté la France au premier festival d’art de Doha Ma collaboration avec Axel Kahn autour de “L’Homme Pluriel“ et “Les Âges de la Vie“, m’a permis de rencontrer l’historien de l’art et commissaire d’exposition Yvan Brohard par qui j’exposerai prochainement à Venise, Florence, Lausanne, Osaka…
Comment avez-vous appréhendé le passage au numérique ?
— Avec méfiance! Non à cause du matériel ou de son maniement, mais de la philosophie ou plutôt l’absence de philosophie qu’il a apportée. N’importe qui peut désormais faire des photos convenables et de surcroit les trafiquer sur ordinateur! Ce n’est pas sorcier! Tout est devenu plus facile. Tellement facile qu’à peu près plus personne n’est capable de porter un jugement qualitatif sur une œuvre. Nous sommes entré dans l’ère du quantitatif, de l’impérialisme du nombre, du totalitarisme démographique, de l’expansionnisme consternant de la complaisance et de la démagogie.
En voyage vous deviez emporter des centaines de films?
Je partais, en début de carrière, avec beaucoup de boîtes, initialement de Kodachromes, puis de Fuji Velvia 50. Le plus difficile était alors de passer les douanes avec tous ces stocks de pellicules. Puis avec le temps, les voyages et l’expérience, j’en suis arrivé à utiliser de moins en moins de films pour m’obliger enfin à ne plus prendre que La photo, comme un chasseur n’a le droit qu’à une seule balle pour abattre un animal qui le charge. Savoir ne pas prendre une photo serait peut-être qui ferait la distinction entre un professionnel et un amateur, quoique que cela soit de moins en mois discernable.
Alors qu’aujourd’hui mitrailler est presque devenu la norme ?
— Pour ce qui est de la prise de vues animalière, il est possible maintenant, depuis l’arrivée du numérique, de mitrailler à volo. Techniquement comme économiquement, il n’y a plus de limite! Sur le nombre, il y a toujours une photo qui fera l’affaire. Mais ce que je trouve, de mon point de vue, intéressant est moins le résultat que la manière de faire. C’est comme pour le voyage, l’important n’est pas du tout d’arriver mais de profiter de la route, d’en jouir quitte à s’attarder et pourquoi pas s’arrêter. La vitesse aveugle! La lenteur bonifie! Avant de déclencher, j’attends donc que les conditions soient optimales: une bonne lumière, le meilleur angle, l’instant juste. Cela nécessite de l’anticipation, de la patience et de la réactivité. Et puis, il y avait aussi le moment miraculeux où rapportant les boîtes du labo, on découvrait les diapositives sur la table lumineuse. L’attente! Parfois l’on était déçu par ce sur quoi on comptait. Parfois on découvrait des images inespérées et surprenantes. C’était autrement plus excitant que la prise de vue robotisée des appareils automatiques qui fait que le photographe passe maintenant son temps face à un écran plutôt qu’à la vie. Pour moi, la photo reste d’abord un moyen privilégié de bien voir les choses, de s’affirmer vivant dans le monde. Toute une philosophie d’être!
Mais la prise de vues ne s’est elle pas simplifiée ?
— Avec le numérique tout est outrageusement facile. Il n’est plus question de recherche l’instant fatal, l’émotion pure. L’à-peu-près est de mise, le médiocre rattrapable sur l’écran. On retouche, on rafistole, on trafique, on bidouille. Quelquefois le résultat est épatant. Mais c’est une autre mentalité, un autre métier.
Aujourd‘hui quel matériel photo utilisez-vous ?
— Étudiant, je m’étais payé un Pentax d’occasion que je me suis fait faucher! Je n’ai pu me racheter un appareil photo que bien plus tard, après que je sois devenu directeur artistique. J’ai toujours depuis utilisé des Nikon par habitude ou par indifférence. J’ai gardé tous mes vieux boitiers dont les F2 et F4 que j’adorais. Je suis venu par force au numérique avec le D2X, avec lequel je n’ai pas été très heureux mais que j’emploie encore pour la photo animalière. J’utilise maintenant surtout le D3X, parfait pour les portraits. Il serait même un peu trop performant. Et comme objectifs, j’utilise, pour les portraits, un vieux 105 d’ouverture 1,8 toujours ultra fiable qui me permet d’obtenir une faible profondeur de champ, et pour l’animalier un 300, plus maniable que le 500. J’emporte aussi un grand angle de 20, un 50, un micro de 60 et un 180, et cela me suffit amplement. Sinon je n’accorde que très peu d’intérêt au matériel. Il faut savoir à un moment arrêter la course aux prouesses technologiques. Ce que j’admire dans une image, fixe comme animée, ce ne sont pas les truquages mais l’âme qui en émane. L’émotion. Mes photos sont brutes de prise de vue. Et cela ne trompe pas. Les visiteurs de mes expositions l’ont bien compris à lire leurs commentaires laissés sur les livres d’or.
Avez-vous une préférence parmi les nombreux pays que vous avez visités ?
— Je les ai tous aimés car tous représentent des charmes, des spécificités, des intérêts particuliers. Y compris les plus démoralisants. J’ai cette faculté [qui est peut-être un défaut] d’être complètement quelque part là où je me trouve quand je m’y trouve. Je ne me pose pas la question de savoir si c’est mieux ou moins bien ailleurs. Aussi quel que soit le lieu, je m’y sens bien. Je peux ainsi m’enthousiasmer pour la plupart des endroits et en tirer le meilleur. Si vous voulez néanmoins des noms je dirais que j’ai été fasciné par l’Antarctique, que j’ai adoré le Botswana, que j’ai été séduit par le Japon et que j’habiterais bien au Chili si je devais quitter la France qui reste quand même mon lieu de vie préféré entre Paris et Marseille.
Pourquoi avez-vous toujours refusé de vous spécialiser ?
— A vrai dire la spécialisation m’ennuie [pour rester poli]. Certains photographes font de l’animalier, ou de la gastronomie, ou du portrait depuis des dizaines d’années. Sauf le respect, je les vois comme mutilés. Moi, au bout d’un moment, je sature. Peut-être pourrait-on dire que je suis instable? Mais le monde offre tant de possibles que je trouve insupportable de m’arrêter à un seul! J’ai besoin de m’aérer, d’ouvrir les portes, de marcher au hasard, de voir autre chose, de découvrir de nouvelles perspectives, de changer de sujet et de regard. Bref de casser les habitudes. La photo elle-même n’est qu’une partie de ma vie. Je lis, j’écris, je dessine, je peins, je sculpte et fais aussi du bateau. J’aime également faire la cuisine, boire et rire avec mes amis. Et si j’ai opté principalement pour l’activité photographique c’est qu’elle allie à la fois la contemplation et la mobilité, la solitude et la sociabilité, l’apparence et le caractère. J’oserai dire le spirituel et le matériel. Cette profession est en ce sens formidable et unique. Mais, réflexion faite, quand j’en parle ainsi, je ne suis plus si sûr qu’elle existe encore telle quelle!
* Interview de 2011, réactualisée par l’auteur en 2013